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C’est alors qu’il regretta la destruction de la carte du major Sallana dans l’explosion de Radine. Il en aurait eu maintenant l’usage. Il était tout aussi navré d’avoir donné à Skriva l’insigne de Sagramatholou. En dépit du fait que James Mowry ressemblait maintenant autant à un agent du Kaïtempi qu’à un porc-épic violet, la carte ou l’insigne lui auraient permis de réquisitionner une voiture civile. Il lui aurait suffi d’ordonner au conducteur de l’emmener là où il le désirait : « La ferme, et obéissez !

Un seul avantage : les chasseurs n’avaient aucun signalement du tueur de Sagramatholou. Peut-être pataugeaient-ils dans le noir en cherchant le mystérieux colonel Halopti ; à moins qu’ils ne traquent un portrait-robot imaginaire que le Kaïtempi avait obtenu de ses captifs par la torture. Il était peu probable qu’ils recherchent un civil âgé plutôt stupide qui portait des lunettes et était trop gaga pour savoir par quel bout prendre un pistolet.

Ils n’en interrogeraient pas moins quiconque serait prêt à quitter la ville à la hâte, même s’il paraissait aussi innocent que l’enfant qui vient de naître. Ils pouvaient aller jusqu’à fouiller tous les voyageurs… dans lequel cas Mowry serait condamné par son pistolet et tout son argent. Ils pourraient aussi arrêter tous les suspects en attendant de vérifier leur identité. Il leur serait alors facile de lui mettre le cou dans le nœud coulant ; le Bureau des Affaires Maritimes n’avait jamais entendu parler de lui.

Il était donc hors de question de s’échapper en train. Même chose pour les autocars ; ils seraient tous contrôlés. Dix chances contre une que tout le réseau policier fût prêt à se lancer impitoyablement à la poursuite de toute voiture volée ; ils supposeraient que celui qui s’était emparé d’une dyno allait en piquer une autre. Il était trop tard pour acheter simplement une voiture. Mais… ah, il pouvait faire ce qu’il avait déjà fait : il pouvait en louer une.

Il lui fallut un certain temps pour trouver une agence de location. L’après-midi tirait à sa fin ; bien des commerces étaient déjà fermés et d’autres approchaient de leur heure de fermeture. D’une certaine manière, c’était un avantage : l’heure tardive pourrait expliquer sa hâte, et l’on s’occuperait plus vite de lui.

« Je voudrais louer cette voiture de sport pour quatre jours. Elle est disponible tout de suite ?

— Ouin.

— Combien ?

— Trente guilders par jour. Ça fait cent vingt.

— Je la prends.

— Vous la voulez immédiatement ?

— Ouin.

— Je vous la prépare et je vous donne la facture. Asseyez-vous. Il y en a pour quelques instants. » Le vendeur entra dans un petit bureau. La porte, mal refermée, s’entrouvrit légèrement et la voix franchit l’espace les séparant. « Un client très pressé, Siskra. Il m’a l’air très bien, mais tu ferais mieux d’appeler pour leur dire. »

Mowry était sorti, et se trouvait déjà à l’autre bout de la rue et deux pâtés de maisons plus loin avant que ledit Siskra eût fini de composer son numéro. On l’avait battu de vitesse ; les chasseurs l’avaient devancé. Toutes les agences de location avaient reçu l’ordre de signaler leurs clients. Seule une porte entrebâillée l’avait sauvé.

Son dos se recouvrit de sueur tandis qu’il mettait le plus d’espace possible entre lui et l’agence. Il jeta ses lunettes et ne les regretta point. Un autobus passa, qui portait la pancarte : Aéroport. Il se rappela alors avoir vu un aéroport en arrivant ; il était peu probable qu’Alapertane en eût plus d’un. Sans nul doute l’aérogare serait-elle truffée de policiers, mais il n’avait pas l’intention d’aller jusque-là. L’autobus le mènerait dans les faubourgs, et dans la direction qu’il désirait. Mowry sauta à bord sans hésiter.

Bien qu’il connût assez peu la ville, il s’était fait une idée de ses limites en arrivant. Les contrôles de police devraient se trouver à la périphérie, là où la route quittait les secteurs bâtis pour pénétrer dans la campagne. À ce stade, on considérait que les passagers quittaient Alapertane et on les questionnerait. Il devait donc en descendre avant.

Il débarqua et se mit à marcher dans l’espoir d’éviter les postes de contrôle en allant à pied à travers champs. La journée s’achevait ; le soleil était à moitié sous la ligne d’horizon, et la lumière diminuait rapidement.

Il ralentit et décida qu’il aurait plus de chances dans les ténèbres. Mais il n’osait attirer l’attention sur lui en arpentant la route ou en restant assis sur le talus jusqu’à la nuit tombée. Il était essentiel qu’on le prît pour quelqu’un du quartier qui rentrait chez soi. Il quitta donc la grand-route, fit des détours par une série de petits chemins, accomplit un demi-tour et retrouva l’artère alors que le ciel était noir.

Il continua sa route en concentrant son attention devant lui. Au bout d’un moment, les lampadaires disparurent ; la lumière des fenêtres éclairées s’évanouit et, au loin, il aperçut les reflets de l’aéroport. Cela n’allait plus tarder ; il avait une folle envie de traverser les ténèbres sur la pointe des pieds.

Un autocar le dépassa, bourdonna dans l’obscurité pesante et s’arrêta avec un brutal éclat de feux arrière. Prudemment, Mowry s’avança jusqu’à vingt mètres du car. Il était rempli de passagers et de bagages. Trois policiers étaient à bord ; deux d’entre eux examinaient visages et documents tandis que le troisième bloquait la portière.

À côté de Mowry se trouvait une voiture de patrouille, portières ouvertes et phares éteints. Elle eût été invisible sans les lumières de l’autocar. Sans ce véhicule providentiel, il serait tombé dessus sans la voir ; ils auraient silencieusement écouté l’approche de ses pas et se seraient abattus sur lui sans coup férir.

Il pénétra calmement dans la voiture, s’assit au volant, referma les portières et lança le dynomoteur. À bord du car, un flic irrité était en train de crier après un passager effrayé tandis que ses compagnons regardaient avec un amusement cynique. Le cliquetis des serrures et le léger gémissement du moteur passèrent inaperçus dans le flot d’injures.

Roulant sur la berme, puis sur la route, Mowry actionna les phares puissants. Les faisceaux jumeaux percèrent la nuit, baignèrent une portion de route dans l’ambre brillant, et illuminèrent l’intérieur du car. Il accéléra, aperçut les trois flics et une douzaine de passagers qui le fixaient d’un air hébété.

Mowry fonça, heureux que le destin eût compensé ses récents déboires. Il allait falloir pas mal de temps avant que l’alarme ne soit lancée et que commence la poursuite. D’après la mine des policiers, ils ne s’étaient pas rendu compte que c’était leur voiture qui passait à toute allure. Ils avaient dû penser qu’il s’agissait d’un automobiliste qui avait profité de leur inattention pour filer tranquillement ; dans ce cas, ils risquaient de se taire et de ne rien faire par crainte des reproches de leurs supérieurs.

Mais il était probable qu’ils agiraient en vue d’éviter une répétition de la chose. Deux d’entre eux continueraient le contrôle des voyageurs du car tandis que le troisième redescendrait pour arrêter les éventuels petits malins.

C’est là que ça deviendrait cocasse. Mowry aurait donné cher pour voir leur tête. Plus de voiture, plus de radio ; il leur faudrait foncer avec l’autocar jusqu’à l’aéroport, ou agiter un peu leurs grosses jambes pour courir ventre à terre jusqu’à la maison la plus proche possédant un téléphone. Mieux encore, il leur faudrait faire leur confession humiliante et recevoir une sévère fustigation verbale.

Se rappelant qu’il disposait maintenant d’une radio sur la longueur d’onde de la police, Mowry ne put s’empêcher de l’allumer.

« Voiture 10. Un suspect prétend qu’il examinait des voitures garées parce qu’il a totalement oublié où il a laissé la sienne. Il vacille, il bégaye, et il sent le zith… mais il peut simuler.

— Embarquez-le, voiture 10 » ordonna le QG d’Alapertane.

Peu après, la voiture 19 demandait de l’aide pour encercler un entrepôt des docks, sans donner de raison. Trois voitures reçurent l’ordre de s’y rendre.

Mowry mania le sélecteur et tomba sur une autre fréquence. Un long silence, puis : « Voiture K. Ici Waltagan. Un septième vient de pénétrer dans la maison. »

Une voix lâcha : « Attendez un peu. Les deux autres vont peut-être venir. »

On dirait qu’une malheureuse maisonnée allait subir une rafle du Kaïtempi. Quant au motif… Le Kaïtempi pouvait agrafer n’importe qui pour des raisons qu’il se forgeait lui-même ; il pouvait enrôler n’importe quel citoyen dans le DAG uniquement parce qu’il en avait décidé ainsi.

Il revint à la fréquence de la police, car c’était là qu’il entendrait un hurlement à propos d’une voiture de patrouille disparue. La radio continuait de marmonner ses histoires de suspects, de fugitifs, de voiture ceci, de voiture cela, d’ordres pour aller ici et là. Mowry feignait d’ignorer ce bavardage.

À vingt-cinq den d’Alapertane, la radio aboya de l’émetteur principal de Pertane : « Appel général. Voiture 4 volée à la police d’Alapertane. Elle a été aperçue roulant en direction du sud vers Valapan. Elle devrait traverser actuellement le secteur P6-P7. »

Des réponses rapides des voitures à l’intérieur ou à proximité de ce secteur. Il y en avait onze. L’émetteur de Pertane se mit à les bouger comme des pièces d’échiquier en utilisant des codes qui n’avaient aucune signification pour son auditeur frauduleux.

Une chose est sûre : s’il restait sur la route de Valapan, il ne faudrait pas longtemps pour que des patrouilles le repèrent et fassent converger les autres sur lui. Inutile d’emprunter des chemins de traverse ; ils devaient s’y attendre et déjà prendre des mesures.

Il pouvait jeter la voiture dans un fossé, la garer dans un champ, tous feux éteints, et continuer à pied – dans lequel cas ils ne la retrouveraient pas avant le jour. Mais s’il ne pouvait s’emparer d’une nouvelle voiture, il serait obligé de marcher toute la nuit et tout le lendemain… plus peut-être s’il lui fallait fréquemment se mettre à l’abri.

À l’écoute des appels qui traversaient les airs, irrité par ces références mystérieuses, Mowry songea soudain que cette concentration des recherches était fondée sur la supposition que si un suspect s’enfuit dans une direction donnée à une vitesse donnée, il doit se retrouver dans un secteur donné à une heure donnée. Ce secteur possède un rayon suffisamment grand pour prévoir les détours. Ils n’avaient plus alors qu’à bloquer les issues puis parcourir toutes les routes du piège.

Et s’ils n’obtenaient aucun résultat ? À coup sûr, ils sauteraient sur deux conclusions : le fugitif n’était pas entré dans ce secteur parce qu’il avait changé de direction et roulait désormais vers le nord ; ou bien il était allé plus vite que prévu et se trouvait au sud du secteur quadrillé. De toute façon, ils soulageraient la pression et déploieraient la chasse plus près de Valapan ou au nord d’Alapertane.

Il dépassa une petite route à toute allure, freina, fit marche arrière et l’emprunta. Une légère lumière apparut sur la route qu’il venait de quitter. Il fonça sur le chemin plein d’ornières tandis que la lueur devenait éclatante, et attendit le dernier moment pour stopper et éteindre ses phares.

Il resta ainsi assis dans les ténèbres tandis qu’une paire de phares éclatants apparaissait sur la colline. Automatiquement, sa main ouvrit la portière et il se prépara à foncer si les phares ralentissaient et pénétraient sur la même route que lui.

L’arrivant approcha de l’intersection et s’arrêta.

James Mowry sortit, se tint à côté de sa voiture, le pistolet prêt à tirer, les jambes tendues. L’instant d’après, l’autre voiture démarrait en trombe, diminuait au loin et disparaissait. Aucun moyen de dire s’il s’agissait d’un civil hésitant ou d’une voiture de police. Dans ce dernier cas, ils avaient dû scruter la route obscure et ne pas être tentés par celle-ci. Ils reviendraient en temps utile ; n’ayant rien trouvé sur les grandes routes, ils finiraient par vérifier les petites.

Haletant, Mowry reprit sa place derrière le volant, ralluma ses phares et continua son chemin. Il ne tarda pas à atteindre une ferme qu’il examina de près. Une cour et des dépendances jouxtaient le bâtiment où des filets de lumière révélaient que les occupants étaient encore éveillés. Il repartit.

Il aperçut encore deux autres fermes avant d’en trouver une qui correspondait à ses besoins. La maison était toute noire et sa grange se trouvait éloignée d’elle. En lanternes, lentement et silencieusement, il traversa la cour boueuse, prit un petit chemin étroit et s’arrêta sous la porte ouverte. Il descendit, grimpa sur la paille et s’allongea.

Les quatre heures suivantes, des phares ne cessèrent de rôder alentour. À deux reprises, une voiture pénétra en cahotant sur la petite route et dépassa la ferme sans s’arrêter. Les deux fois, il s’assit dans la paille et sortit son arme. De toute évidence, les chasseurs n’avaient pas idée qu’il pût se garer à l’intérieur même du piège ; sur Jaimec, les fugitifs ne se comportaient pas comme ça : s’ils pouvaient foncer, ils ne s’arrêtaient pas.

L’activité environnante finit par s’éteindre. Mowry retourna dans sa voiture de patrouille et se remit à rouler. Il restait trois heures avant l’aube ; si tout allait bien, il parviendrait à l’orée de la forêt avant le jour.

L’émetteur de Pertane transmettait toujours ses ordres incompréhensibles, mais les patrouilles répondaient avec moins de netteté. Il ne put décider si l’affaiblissement des signaux radio était encourageant. Certes, les voitures s’étaient éloignées, mais combien avaient bien pu rester à proximité en gardant le silence ? Sachant fort bien qu’il pouvait écouter ses conversations, l’ennemi devait être assez rusé pour laisser quelques véhicules dans les parages.

Qu’il y eût ou non des patrouilleurs qui se tenaient cois, il parvint incognito jusqu’à neuf den de sa destination avant que sa voiture ne lâche. Elle filait sur une route encaissée qui le conduisait à la dernière et dangereuse portion de chaussée lorsque le petit lumignon vert du tableau de bord clignota et s’éteignit. En même temps, les phares furent coupés et la radio mourut. La voiture roula sur son élan, puis stoppa.

Mowry examina le démarreur et ne remarqua rien de spécial. La manette de secours au plancher ne fonctionnait plus non plus. Après avoir tâtonné longuement dans le noir, il parvint à détacher l’un des conducteurs d’entrée et essaya de provoquer un court-circuit avec une borne. Il aurait dû se produire une mince étincelle bleue ; mais rien ne se produisit.

Ce qui signifiait que l’émission d’énergie à partir de la capitale avait été coupée. Toutes les voitures dépendant de Pertane avaient été arrêtées – voitures de patrouille de la police et du Kaïtempi comprises. Seuls les véhicules à portée d’autres émetteurs lointains pouvaient continuer à rouler… à moins que ceux-ci n’aient également cessé de fonctionner.

Mowry abandonna sa voiture et continua péniblement à pied. Il atteignit la grand-route, la parcourut d’un pas rapide en guettant toute silhouette armée prête à intercepter les piétons dans la nuit.

Au bout d’une demi-heure, un collier de phares s’épanouit derrière lui et le gémissement assourdi de nombreux moteurs parvint à ses oreilles. Il quitta précipitamment la chaussée, tomba dans un fossé invisible, en ressortit et chercha refuge parmi les buissons épais. Les phares se rapprochèrent et passèrent à toute allure.

C’était une patrouille militaire de reconnaissance composée de douze individus chevauchant des dynolettes à batterie indépendante. Dans leur combinaison plastifiée, avec lunettes de protection et casque en duralumin, ils ressemblaient plus à des hommes-grenouilles qu’à des soldats ; chacun avait le dos barré par un fusil d’assaut doté d’un gros magasin de forme ronde.

Les autorités devaient donc être plus qu’enragées pour paralyser toutes les voitures et laisser l’armée reprendre à son compte la chasse au véhicule disparu avec son occupant. De leur point de vue, elles n’avaient pas tort d’en arriver à de telles extrémités. Le Dirac Angestun Gesept avait revendiqué l’exécution de Sagramatholou ; et quiconque s’était emparé de l’engin de l’agent secret devait donc être un authentique, un véritable membre du DAG. Il leur fallait à tout prix un membre authentique.

Il accéléra, courant sur une courte distance, puis marchant d’un pas rapide, puis courant à nouveau. À un moment, il se jeta au sol, le nez dans le légume haut à l’odeur de poisson qui servait d’herbe sur Jaimec. Une patrouille de six individus passa. Il dut ensuite se dissimuler derrière un arbre pour en éviter quatre autres. Un côté du ciel grisonnait et la visibilité s’améliorait d’instant en instant.

La dernière étape avant la forêt fut la pire de toutes. En dix minutes, il dut s’abriter précipitamment une dizaine de fois, sans savoir s’il avait ou non été aperçu… car il était maintenant possible de distinguer des mouvements à une distance considérable. Ce soudain accroissement des activités laissait entendre qu’on avait découvert la voiture de patrouille d’Alapertane – on cherchait donc maintenant un fugitif à pied.

Il y avait heureusement de grandes chances pour que les recherches ne se concentrent pas dans le voisinage immédiat.

Il pénétra joyeusement dans la forêt et, dans le jour naissant, avança rapidement. Fatigué et affamé, il dut s’arrêter dix minutes toutes les heures, mais fit de son mieux entre chaque pause. À midi, à environ une heure de la caverne, il dut s’allonger dans une clairière feuillue et s’offrir un petit somme. Jusqu’alors, il avait parcouru cinquante-neuf kilomètres avec l’assistance du désespoir, d’un sentiment d’urgence, et de la gravité plus faible de Jaimec.

Quelque peu ragaillardi, il reprit son périple et avait réduit son pas à une avance tranquille lorsqu’il atteignit le point où sa chevalière se mettait invariablement à le picoter. Cette fois-ci, elle ne réagit pas. Il fit halte aussitôt, regarda autour de lui et étudia les branches des grands arbres qui s’élevaient devant lui. La forêt était un labyrinthe de clair-obscur. Une sentinelle silencieuse et immobile pouvait demeurer des heures dans un arbre en restant invisible aux yeux de ceux qui s’approchaient.

Ce qu’on lui avait dit au centre d’entraînement fit écho dans son esprit : « L’anneau est un avertissement, un signal d’alarme sûr. Vous pouvez compter dessus ! »

C’était très bien de dire ça. Mais si c’est une chose de donner des conseils, c’en est une autre de les accepter. Le choix ne se réduisait pas simplement à continuer ou faire demi-tour, il s’agissait de trouver abri, nourriture, réconfort et équipement essentiel, ou d’abandonner tout ce qui permettait à James Mowry de se transformer en guêpe. Il hésita, douloureusement tenté de se glisser à proximité pour observer longuement la caverne.

Il finit par se résoudre à un compromis et s’avança précautionneusement d’un arbre à l’autre en profitant au maximum des fourrés. Il avança ainsi de cent mètres.

Toujours aucune réaction de la chevalière. Il l’ôta, examina son cristal sensible, en nettoya le dessous, et le remit. Pas un chatouillis, pas une démangeaison.

À demi dissimulé derrière une énorme racine, il réfléchit de nouveau à la situation. Y avait-il eu des intrus dans sa caverne, et si oui, étaient-ils en embuscade dans les parages ? Ou bien le container 22 avait-il cessé de fonctionner en raison d’un défaut interne ?

Alors qu’il était dans les griffes de l’indécision, un bruit surgit à vingt mètres. Faible et ténu, il ne l’eût point entendu si ses sens ne s’étaient trouvés aiguisés par le péril. C’était comme un éternuement, retenu ou une toux assourdie. Cela lui suffit. Quelqu’un était dans le coin et s’efforçait de ne pas faire de bruit ; la caverne et son contenu avaient été découverts et les inventeurs guettaient l’arrivée du propriétaire.

S’efforçant de se concentrer sur les arbres, il battit en retraite en rampant presque. Il lui fallut ensuite une heure pour parcourir quinze cents mètres ; s’estimant alors en sécurité, il se mit à marcher d’un pas régulier sans savoir où aller ni que faire.

Les théories ne servaient à rien, mais il ne pouvait s’empêcher de se demander comment la cachette avait été découverte. Des avions de reconnaissance volant en rase-mottes et équipés de détecteurs de métaux avaient pu repérer sa position exacte s’ils avaient quelque raison de suspecter son existence dans cette région. Ce qui n’était pas le cas, à sa connaissance du moins.

Il était plus probable que quelques-uns de ceux qui avaient fui Pertane pour prendre la clé des champs fussent tombés sur la caverne – et ils avaient dû chercher à se remettre bien avec les autorités en rapportant leur découverte. À moins que cette tanière évidente n’eût été fouillée par une patrouille à la recherche des fuyards.

De toute façon, cela n’avait maintenant plus aucune importance. Il avait perdu son repaire ainsi que tout contact avec Terra. Il n’avait plus que ses vêtements, un pistolet et vingt mille guilders. Bien que riche, il ne possédait plus, en fait, que sa vie qui, en l’occurrence, ne valait pas grand-chose.

Il devrait manifestement s’éloigner de la caverne jusqu’à épuisement de ses forces. Se rendant compte qu’elles avaient trouvé un dépôt d’armes terrien, les autorités ne se contenteraient pas d’une embuscade. Dès qu’elles pourraient rassembler les troupes nécessaires, elles transformeraient un large secteur de la forêt en un piège gigantesque ; processus qui pouvait être lancé d’un instant à l’autre.

Les jambes molles, il continua donc à avancer, se guidant d’après le soleil et les ombres en se dirigeant droit vers le sud. Au crépuscule, il n’en pouvait plus ; s’affalant dans un carré de roseaux, il ferma les yeux et s’endormit.

Il s’éveilla en pleine nuit. Il resta allongé jusqu’au jour, dormant et veillant alternativement. Puis il repartit, les jambes plus solides, l’esprit plus clair, mais l’estomac toujours serré.